Les données personnelles, un bien décidément très précieux

Le scandale créé par Facebook est à la mesure de l’enjeu : oui ou non, le concept même de vie privée est-il en train de disparaitre sous les assauts qu’il a commencé à subir ? Que reflètent les tardives excuses présentées du bout des lèvres par Marc Zuckerberg, son Pdg ? Sa personnalité ou la contradiction dans laquelle il se trouve coincé à la tête de son entreprise, qui remet en cause son étourdissant succès financier ?

Son modèle économique repose sur l’exploitation commerciale des données personnelles, ce nouvel or noir, cette véritable pierre philosophale. En suscitant et développant les échanges entre internautes, Facebook a pour principal objectif d’en recueillir le maximum. C’est un générateur de données personnelles, source de son succès financier. Mais il n’est aujourd’hui qu’une victime expiatoire, car la course effrénée à la collecte des données est lancée de partout.

Le déploiement des réseaux « 5G » et la commercialisation des objets connectés vont encore accélérer ce mouvement de dépossession. Il n’est pas un domaine où l’innovation ne repose sur le traitement des données personnelles par des algorithmes. Toutes sont bonnes à recueillir, à vendre, à traiter, pour le meilleur et pour le pire. Un gigantesque bazar numérique a ouvert, où la vie des internautes, leurs préférences ou déviances de toutes natures, sont offertes au plus offrant. Est-il vraisemblable que les marchands acceptent de le fermer ?

D’autant que l’usage en est double. Les portes du paradis du marketing individuel et de toutes ses tentations ou servitudes seront ouvertes, tandis que celles du contrôle social se refermeront.

De ce point de vue, le système que mettent actuellement en place les autorités chinoises, qui joue sur les deux tableaux à la fois, est exemplaire, représentant la vision la plus achevée de ce qui se prépare.

Ye Du, un écrivain dissident, vient de dénoncer l’avènement d’un « totalitarisme high-tech ». Un seul exemple : des lunettes de reconnaissance faciale sont désormais utilisées pour identifier les « suspects » dans les foules se pressant dans les gares.

Un comité spécial présidé par le président à vie Xi Jinping – c’est dire l’importance du projet – associe le gouvernement et le groupe Alibaba au développement du système d’évaluation du crédit social individuel Sesame, sur la base des données qu’il recueille. L’objectif est de vérifier si vous êtes un bon citoyen, selon les critères du Parti-État. La notation sociale s’avère un des éléments constitutif du développement économique à la chinoise, où l’élévation du bien-être de la population est couplé avec sa bonne conduite. Des pénalités et des récompenses sont prévues.

Certes, le problème ne se pose pas de manière aussi caricaturale en Occident. La NSA recueille elle-même ses données et n’a pas besoin de se les procurer. Mais l’utilisation des algorithmes pour aider les juges à décider des peines de probation, après analyse des risques de récidive, montre que le mélange des genres est dans les tuyaux et qu’il devient irrésistible. Au-delà des stratégies d’influence électorale qui viennent d’être dévoilées.

Nul doute qu’il ne va être question que de moraliser l’utilisation des données personnelles mais, une fois les données vendues et sorties des serveurs, comment contrôler leur véritable usage ?

On se souviendra comment l’autre grand scandale mondial de l’interception des communications par la NSA américaine et ses consœurs s’est soldé. Les protestations ont afflué, un vent d’indignation s’est levé, mais strictement rien n’a changé. Le dogme de cette autorégulation mis à toutes les sauces par ceux qui veulent garder les mains libres devant être abandonné, il ne reste plus de disponible que la réglementation, si l’on ne veut pas interdire.

Que peut-on en attendre ? Le parallèle avec le monde financier s’impose où, ce même dogme n’étant plus défendable, les banques reconnaissent la nécessité d’un renforcement réglementaire, en se battant avec succès pour le limiter afin de sauver ce qui à leurs yeux est essentiel. La comparaison n’est pas encourageante.

5 réponses sur “Les données personnelles, un bien décidément très précieux”

  1. Vaste sujet.
    Face Book, la plus grande agence mondiale de renseignement privé ?

    Allons-nous vers une Cyber Dictature ? E. Filiol (ex DGSE, hacker) , J. Zimmermann (QDN)
    10 février 2014
    Jeremie Zimmermann et Éric Filiol donnent leur point de vue sur la surveillance abusive à travers internet. Allons-nous vers une cyber dictature ?
    https://thinkerview.com/allons-vers-cyber-dictature-e-filiol-ex-dgse-hacker-j-zimmermann-qdn/

    Loi de programmation militaire et neutralité du réseau, vie privée et démocratie en danger ?
    27 janvier 2014
    Nous avons réuni sur le même plateau : Hacker, développeur et chef d’entreprise pour qu’ils nous livrent leurs perceptions croisées concernant vos données privées et de la façon dont les états, les entreprises, les services de renseignements peuvent les utiliser… Les avantages, les dérives probables et des solutions, bon visionnage.
    https://thinkerview.com/loi-de-programmation-militaire-neutralite-reseau-vie-privee-democratie-danger/

  2. Je me disais qu’il s’agit d’une activité de « Profilage ». Wikipedia est clair : il y a le profilage par analyse comportementale des supposés criminels, le profilage « policier » (constituant des bases de données sur la religion, l’orientation des moeurs, etc.), et : « En informatique, le profilage de personnes désigne l’exploitation de données numérisées sur un ensemble d’individus pour établir différents profils de ces individus, et prédire le comportement de chacun en vue de leur proposer un contenu personnalisé, généralement à caractère commercial, particulièrement susceptible de les intéresser. Ce type de profilage est régi en Europe depuis 2018 par le RGPD. »
    Donc vous n’êtes ni le client, ni le produit, mais le profil. Et le profil « intéressant » n’est pas différent du « bon citoyen » des chinois (bien qu’il se rapproche du profilage policier).
    Ce matin, une boite de com vendait à des associations de patrimoine et d’historiens locaux le plaisir de mettre leurs recherches à disposition d’un « portail du patrimoine culturel mondial, qui permettrait de fournir une fiche descriptive de tout élement du patrimoine, « du château à la croix de chemin ou à l’humble lavoir ». « Quel est le business model ? » On devine : Des data de profilage qui intéressent les milieux du tourisme (hotels, voyages, revues, etc.).
    Et je ne croyais pas si bien dire en fouillant les services de « La POste. fr » pour les entreprises. En deux mots, nous disposons de data fiables sur les quartiers et les adresses des publics qui sont vos cibles : non, age, profession, niveau social et culturel, etc. , et bien sur adresse postale et adresse mail. (Il y a deux pages de description de divers services de prospection et diffusion).
    Je songe aussi à diverses informations « émotionnelles » qui circulent sur FB, principalement des pétitions humanitaires ou écologiques. Ce sont des boîtes de com qui ont créé ces services, avec des travailleurs au ‘profil’ informatique, dont une, AVAAZ.org, est reconnue après quelques années comme ONG par les instances internationales, alors que leur business model est sans doute le profilage. C’est bien sûr « Richard » ou « Edgard » (ça fait militant) qui vous alertent pour signer ceci contre le gouvernement chinois ou cela contre le gouvernement birman, soit des pétitions sans efficacité politique, mais qui récoltent en fait des clics liés à votre adresse mail.

  3. Plus proche de nous : la Caisse nationale d’Assurance maladie est épinglée par la CNIL, en particulier à travers le le Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (Sniiram) recense les identités et les caractéristiques de tous les patients, toutes les prestations remboursées dans le cadre des soins réalisés en médecine de ville, ainsi que la consommation de soins en établissement.
    La mise en demeure de la Cnil a été rendue publique en raison de « la particulière sensibilité des données traitées, du volume des données enregistrées et du nombre important d’organismes habilités à y accéder ».
    Ces données sont effectivement très sensibles au regard de l’usage que pourraient en tirer tous ceux qui mettent en oeuvre et tire profit de la marchandisation de la santé, et ils sont légion…

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